LE CHANT DE LEURS BILIGS ...
Au-delà des photos, les odeurs font parfois surgir des images ...
Souvenirs de nos grand-mères devant leurs biligs ...
Souvenirs des crêpes qui faisaient chanter nos papilles ...
A Brignogan, à peine les hommes partis au champ la pâte était faite et, dès dix heures, le beurre glissait sur la bilig déjà bien culottée.
Durant presque deux heures le rozell manoeuvrait ...
La pile de crêpes montait et montait, prenant chaque vendredi un air de tour de Pise.
La porte ouverte sur la cour, nous passions et repassions, impressionés par la magie de ce geste, nous passions et repassions tentant de chiner une crêpe avant l'heure du repas.
Souvent , nous réussissions et, dégoulinante de beurre, elle nous brûlait immanquablement les doigts ...
Une fois la loi de l'attractivité trop forte, une première assiette partait patienter dans le four chaud, le retour du champ ...
A Locronan, c'était toujours le même rituel ...
Les deux pâtes étaient prêtes depuis l'aurore, à l'heure où elle n'avait encore personne dans ses pattes !
C'est sans doute la raison pour laquelle la recette est, à ce jour, restée secrète et aujourd'hui disparue dans les méandres d'une mémoire défaillante ...
Quelques temps avant de manger, elle allumait les biligs à l'aide d'un morceau de papier journal enflammé et parfois, elle se penchait si près des poêles pour régler le gaz qu'elle se brûlait un peu les cheveux !
Juste avant midi, alors que l'estomac de son époux martelait le sempiternel "l'heure de la soupe n'attend pas", elle descendait à la cave et se déshabillait pour se dépouiller de la combinaison qui, elle le savait, la tiendrait trop chaud ...
Elle enfilait alors ce que nous appelions sa "robe de crêpes" à fleurs oranges et prenait son poste derrière les biligs chaudes ... Commençait alors la valse séculaire des gestes et des objets ...
Samedi midi, jour de crêpes chez Mamie ...
L'amalgame de chiffons imbibés d'huile essuyait la fonte brûlante tandis que la louche plongeait dans la marmite avant de verser son contenu au centre de la poêle.
D'une main ferme et précise, Mamie guidait le rozell qui étalait la pâte en une crêpe fine et odorante.
A l'aide du spanell, elle soulevait la délicieuse et la déposait sur l'autre bilig où elle achevait de cuire en attendant sa garniture.
C'était toujours Mamie qui mangeait la première crêpe, celle qui était râtée et qu'elle appelait "le lapin" !